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Interroger la boîte à outils du chercheur en SHS à l’ère des Humanités numériques et de l’IA

Quels outils et méthodologies mobiliser pour le recueil, l’analyse, la mise en forme, la diffusion et la valorisation des résultats de la recherche en sciences humaines et sociales ? À l’ère des humanités numériques et de l’intelligence artificielle, les dispositifs numériques s’imposent dans toutes les disciplines des SHS, modifiant parfois en profondeur les pratiques de recherche et interrogeant – ce faisant – les cadres épistémologiques établis.

Les humanités numériques s’inscrivent désormais comme une « transdiscipline », traversant et hybridant des champs de recherche variés. Toutefois, cette hybridation ne va pas sans transformations et donc précautions d’usage. Le transfert d’outils et de méthodes d’une discipline à l’autre – qu’il s’agisse d’un passage instrumental des sciences dures vers les SHS ou d’un déplacement au sein même des sciences humaines et sociales – n’est pas neutre. L’application de techniques empruntées à d’autres domaines, comme l’analyse quantitative en histoire, les modèles computationnels en sociologie ou l’exploitation de bases de données en anthropologie, peut-elle réellement s’opérer sans transformation in fine des cadres théoriques et méthodologiques traditionnellement usités ? Quels risques épistémologiques ce type d’adaptation comporte-t-il ? Permet-il un enrichissement des approches ou, au contraire, une rigidification des objets d’étude sous l’effet d’outils conçus pour d’autres usages ?

À cela s’ajoute la question de l’opacité croissante des outils mobilisés. Entre boîte à outils scientifique et boîte noire algorithmique, comment assurer une appropriation critique et réflexive des technologies utilisées ? Quels garde-fous mettre en place pour éviter une standardisation des pratiques au détriment des spécificités disciplinaires ? Si les humanités numériques redéfinissent les modes de production des savoirs, dans quelle mesure ces transformations influencent-elles la nature même des questionnements en SHS ?

Loin d’être de simples instruments techniques, les technologies de l’intelligence interviennent désormais à toutes les étapes du processus de recherche. Peuvent-elles se limiter à des outils d’aide ou participent-elles à la redéfinition des démarches scientifiques ? En quoi transforment-elles l’acte même de recherche lorsqu’elles interviennent dès le dépouillement bibliographique, dans l’accumulation et la structuration des données, mais aussi dans l’écriture et la diffusion des résultats ? Favorisent-elles une accélération et une simplification du travail scientifique ou imposent-elles de nouveaux schémas de pensée et de raisonnement ?

Nombre de travaux soulignent les bénéfices des technologies numériques en matière de synergie cognitive, de collaboration scientifique et de mise en visibilité des communautés de recherche. Mais ces technologies permettent-elles réellement d’accroître les facultés de raisonnement ? Contribuent-elles à la production de nouvelles connaissances ou limitent-elles l’exploration de champs de recherche en renforçant des logiques prédictives et normatives ? L’IA favorise-t-elle l’innovation ou tend-elle à homogénéiser les pratiques et à renforcer des biais déjà présents dans les choix des objets d’étude ?

Si ces outils offrent des gains de temps considérables et une efficacité accrue dans l’analyse des corpus, ils soulèvent également de nombreux défis qu’il est nécessaire de questionner car susceptibles d’influencer nos pratiques et résultats de recherche. Quels biais cachés comportent-ils ? Dans quelle mesure les algorithmes reflètent-ils la vision du monde de leurs concepteurs, leur appartenance sociale, leurs croyances ou leurs stéréotypes ? Peut-on encore parler d’objectivité scientifique lorsque les outils eux-mêmes participent à la construction du sens et du savoir ? Comment développer des usages intelligents et critiques des technologies tout en préservant la rigueur méthodologique, l’esprit critique et la réflexivité propres aux SHS ? Quels rapports entre le chercheur et son instrumentation ?

Au-delà de la question du numérique, une interrogation plus large mérite d’être posée : jusqu’où peut-on appliquer des outils et des théories récentes à des corpus anciens ? Les méthodes contemporaines offrent-elles une lecture renouvelée des objets du passé ou introduisent-elles des anachronismes qui en déforment l’interprétation ? Comment penser l’usage des outils modernes sans biaiser l’étude de sources issues d’autres contextes historiques, sociologiques ou culturels?

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